GDT - Récit (3)

J14 - Howard Douglas CG - Lake Magog CG

Roller-Coaster X Assiniboine

Je repars à peu près sec, pour une journée assez courte mais humide. Début de journée sympa, malgré la boue et la pluie. Depuis ma reprise à Field, les températures descendent rarement en-dessous de 0°C, contrairement à Jasper. Du coup quand ça précipite, c'est souvent de la flotte...
Direction Citadel Peak, qui porte bien son nom.

Au Citadel Pass je quitte l'Alberta et Banff Natinal Park pour me retrouver en Colombie Britanique, au pays du fameux Mont Assiniboine, 3618m, souvent comparé au Cervin. Malheureusement, alors que je devrais déjà pouvoir le voir dominer les crêtes environnantes, il est dans les nuages. Ce soir je dors à son pied, j'espère bien pouvoir l'apercevoir d'ici demain!

Face sud du Citadel Peak, avec l'arrête est qui permet son ascension. Si le temps avait été un peu meilleur, je l'aurais bien grimpé, car il offre un beau panorama et vaut bien le détour.

Sous la pluie, je descends dans les arbres avant de remonter la Valley of the rocks. Je n'ai pas aimé cette partie. Le paysage est intéressant, assez peu commun, avec des tas de cailloux un peu partout, mais ça monte et ça descend en permanence, un vrai Roller-Coaster, parfait pour casser les jambes. Et la flotte pour agrémenter le tout. Ça ne dure heureusement qu'une heure.

Enfin j'arrive au Og Lake, sillonnant entre des cairns naturels géants.

Pause de quelques minutes pour manger un bout, il fait pas chaud du tout. Le guide préconise en été de dormir là, pour éviter l'affluence du Lake Magog, mais les emplacements pour tente sont exposés en plein vent, et ça souffle! Plus loin j'atteins les impressionnantes et venteuses Og Meadows, où serpente le Og Creek, à sec à cette saison. Paysage sauvage, profond sentiment d'être seul au monde.

Je suis rapidement au lac Magog, le Mont Assiniboine est toujours aussi impuissant face à l'épaisseur du plafond nuageux.

La lodge est fermée, mais il y a des cabanes un peu plus haut, pour 20$ la nuit au sec. C'est tentant. Alternative, celle que j'ai prévue, le camp, pour 10$ (oui ce parc n'est pas couvert par mon Wilderness Pass). C'est cher pour dormir dehors, mais vu l'aménagement du camp, ça se comprend. Et de toute façon, c'est obligatoire... J'avance jusqu'à la carte du camp (oui oui, vous avez bien lu: du camp). Plus de 30 emplacements, des robinets, 3 ou 4 toilettes, plein de petits coins bouffe, et surtout... surtout... un abri cuisine. C'est ma chance de me sécher, manger et dormir au sec!

En effet c'est pas mal. J'ai le camp et l'abri pour moi tout seul.

Il a plu pratiquement toute la journée et cet abri, là, est trop tentant. Seul souci, je n'ai pas d'eau. Pour m'éviter de redescendre au lac, j'utilise deux seaux trouvés dans un coin pour récupérer ce que déverse le toit. Ma motivation n'est pas au plus haut. La moitié du paysage est cachée derrière les nuages; j'aime le froid, la neige, mais pas la pluie continue; mes pieds, même s'ils me permettent d'avancer, ne sont pas complètement guéris. J'ai l'opportunité de finir demain, un ou deux jours plus tôt. Le temps est exécrable. On verra demain. Je reste dormir là, sur le plancher.

Parcours : 22km, +630m, -700m


J15 - Lake Magog CG - Birdwood Creek CG

Doute X Détermination

Il fait grand beau. Et on voit le Mont Assiniboine, magistral au-dessus de tous ses voisins! Petite promenade dans les champs d'herbes qui bordent le lac pour faire quelques photos. Je me retourne et demande à Irina si elle veut bien me prendre en photo devant le lac et le sommet derrière. Attends, y'a un truc qui va pas là. D'où elle sort Irina, elle est censée m'attendre à Vancouver. Ok, j'ai compris, faut que je me réveille. J'ouvre les yeux, prends quelques secondes pour retrouver mes repères, et jette un oeil au ciel déjà clair: le plafond est toujours aussi bas. Je me rendors de dépit...

J'ai quand même dormi bien au sec. Je quitte mon abri tard, après avoir pris mon temps pour déjeuner et vidé les 14L d'eau récupérés cette nuit.

Les nuages sont toujours là, je n'ai plus le temps d'attendre une amélioration. Quelques timides rayons de soleils me motivent quand même à sortir l'appareil.

Le chemin du Wonder Pass offre de jolies choses à voir: lacs, cascades, grandes étendues à moitiés boisées, le tout encerclé de crêtes enneigées. Depuis le col, belle vue sur les Og Meadows en contre-bas, là-où j'étais hier. Sur le versant sud, un agréable vallon, apparemment apprécié des grizzlis, descend vers le lac Marvel. Je descends en silence, essayant de ne pas les effrayer, les bâtons dans une main, le déclencheur du spray dans l'autre. On sait jamais, ça serait bête de les rater s'ils sont vraiment encore dans le coin!

S'ensuit un interminable chemin qui longe le lac sur ses hauteurs. Les parois du Wonder Peak au-dessus de moi n'attendent plus qu'on vienne y graver des têtes de présidents américains!

Je croise deux randonneurs, qui montent dormir à la cabine Naisets du lac Magog, qui m'annoncent que le temps sera mauvais demain. Et que la route que rejoindrait ma sortie anticipée n'est pas très fréquentée, avec tout de même l'option d'attendre qu'ils reviennent pour repartir avec eux. Je continue encore une heure, me donnant le temps de la réflexion. Encore un tétras au milieu du chemin, femelle cette fois-ci.

J'arrive bientôt au Bryant Creek, paysage enchanteur, le temps s'est bien dégagé et cet après-midi est magnifique. Toutes les couleurs sont au rendez-vous.

Il est 15h, pause pour manger un peu et prendre une décision.

J'ai encore 15km à faire jusqu'au camp prévu ce soir, loin dans une vallée peu fréquentée. Sortir demain ou dans 3 jours? Avec un col majeur à passer, certainement sous la neige. Il fait beau maintenant, j'ai encore envie de marcher et pas envie de m'arrêter dans 5km pour camper à côté de la sortie. Je range ma carte et reprends le trail d'un pas pressé.

J'arrive une heure plus tard à l'entrée du Spray Lake Reservoir, grand lac nourri par la rivière Spray, que je vais longer cet après-midi et demain. Mes pieds n'ont pas vraiment apprécié ces 6km de marche nordique avec mes grosses godasses. Mais la piste se transforme en chemin de "cross country", fréquenté pratiquement que par les thru-hikers. La végétation plus dense et le sentier plus étroit m'obligent à ralentir.

L'aileron du Mount Shark dépasse de cet océan d'épicéas.

Je retrouve ce même style d'environnement déjà eu sur les rives de la rivière Maligne, au début de cette traversée. Le chemin s'engouffre dans la vallée jusqu'à n'être plus entouré que de chaînes enneigées, me guidant parfois à travers les arbres, parfois dans les zones inondables, vers mon camp. Je manque même de le rater, tellement occupé à observer et suivre les traces d'un grand méchant loup.

Le Birdwood Campground n'est pas des plus somptueux, mais il fera l'affaire. Je mange sous la tente et me couche. Il se met à pleuvoir, abondamment. Toute la nuit, il pleut. Je prends quelques gouttes sur la figure. Au sommet de l'abri, le renfort en Cordura qui protège la toile des bâtons est gorgé d'eau. L'eau s'est infiltrée par là-haut, je n'ai (volontairement pour tester) étanchéifié aucune couture. J’attrape ma serviette, absorbe un peu d'eau, l'essore et la cale là-haut pour faire tampon. Il me faudra refaire cette manip à chaque fois que je me réveille, toutes les deux heures environ.

Parcours : 30km, +600m, -1000m


J16 - Birdwood Creek CG - Mount Sarrail CG

Précipitation X But

La nuit a été assez reposante. Heureusement, car une dure journée m'attend. Il pleut toujours. Je mange un bout, range le plus d'affaires possible au sec dans mon sac, et mets un peu de bouffe dans ma poche frontale pour éviter de ré-ouvrir le sac dans la journée. J'attends une accalmie pour remballer et prends le chemin, d'un pas décidé. Quelques minutes plus tard je passe à 100m d'une cabane de gardien. Tiens, ça a l'air ouvert, une ampoule brûle à l'extérieur, quelqu'un sort. Le temps de me dire que ça aurait été sympa de discuter avec lui, j'ai déjà dépassé le chemin qui y mène et la pluie ne me donne pas envie de faire demi-tour. Mes pieds avancent tous seuls.

Plus que la pluie, ce sont les passages à travers les buissons gorgés d'eau qui finissent par avoir raison de l'étanchéité de mes chaussures. En moins d'une demi-heure, l'eau dégouline sous les guêtres via mon pantalon détrempé, finissant sa course dans la marre en formation sous mes chaussettes. A noter pour la prochaine fois: un pantalon imperméable.
Malgré le doux splotch splotch qui accompagne chacun de mes pas, j'arrive à rester assez discret pour rencontrer deux femelles orignaux.

Un peu plus loin, j'aperçois au loin un mâle, dont seuls les bois dépassent au-dessus de la végétation dense.

Le paysage est le même que le long de la rivière Maligne. Le même type de sentier peu fréquenté, très sauvage, le soleil en moins, les animaux en plus! Au bout de la vallée, j'entame la courte ascension du Paliser Pass, gisant 200m plus haut sur la frontière provinciale, où m'attend la neige.

Je sors du Banff National Park par sa frontière la plus au sud, pour rejoindre l'Alberta.

Je me retrouve alors dans une zone où le bivouac sauvage est autorisé, d'ailleurs j'aurais pu venir me poser ici si j'avais eu un peu plus de temps hier (2h de soleil supplémentaires).
Le chemin se dégrade, ça descend raide, suivant la longue rivière Paliser. L'endroit est propice aux ours, il y a des baies un peu sèches et quelques vieux estrons. Parfois le chemin disparaît à la traversée d'une prairie, me mettant au défi de le retrouver en face. La vue est assez limitée, c'est très humide, ce n'est pas une des parties les plus impressionnantes.

J'arrive enfin en bas, à 1600m, à la jonction avec le sentier qui rejoint le North Kananaskis Pass, mon prochain objectif, 800m plus haut. Depuis quelques minutes la température est tombée et j'entends des bruits lointains de tonnerre... pas bon. Alors que je cherche le chemin, la pluie s'intensifie avant de se transformer en neige. Et pas qu'un peu.

Je m'abrite 10 min sous un arbre, le temps de manger quelques chips et décider sereinement de la suite des choses, au milieu de cet orage. Dois-je foncer tête baissée sous la neige avant que le col là-haut ne soit trop obstrué? Ou m'arrêter et attendre que le mauvais temps passe, peut-être jusqu'à demain? Entre temps, je me refroidis. Le vent se calme, mais il neige toujours autant. J'opte pour la première solution.
En voulant traverser la Paliser River, dans la précipitation, je mets un pied à l'eau, mais retrouve enfin le chemin de Leroy Creek, marqué en orange. La montée est raide, 5km seulement, mais c'est ma dernière grosse montée. Derrière le col se trouve Kananaskis Lake, là où s'arrête mon aventure. Alors je donne tout ce que j'ai, pour me réchauffer.

Tout est couvert de neige et le sentier disparaît par endroit. Je galère à trouver là où il faut traverser Leroy Creek, mais retombe sur mes pas grâce aux marques oranges. Entre-temps, la dépression est passée et le soleil m'offre quelques rayons. Je m'octroie une pause photo histoire de garder une trace de ce que je vois chaque fois que je tourne la tête.

J'arrive au col, en nage, au bout d'1h30. Trempé, mais l'émotion là-haut est aussi intense que l'a été la grimpe. Le vent souffle, la neige vole de partout, les nuages remontent de la vallée d'où je viens, le décor en impose, ça prend aux tripes!

J'avais prévu de bivouaquer ici au départ, mais bon, il est encore tôt, ce n'est pas très accueillant, et le froid me force à me remettre en route. Je continue, passant le lac Maude avant de rejoindre Turbine Canyon. Tout est blanc ou glacé par le vent, la neige profonde, l'hiver est là.

Il y a un campground ici, auquel s'appliquent quelques frais supplémentaires, comme pour tous les autres camps du parc Peter Lougheed, dont la frontière est au col Kananaskis Nord. Mais une nouvelle dépression pointe son nez, je me décide à descendre dans la vallée pour me protéger du mauvais temps. Pourchassé par la neige et le vent, j'ai mal géré mon eau et me retrouve un peu en manque. Je dois attendre d'être plus bas pour me ravitailler dans un ruisseau, avec une belle vue sur les crêtes maintenant illuminées.

Tout en buvant, je repense à ceux qui m'attendent, que j'ai envie de revoir aussi. La fin est proche. Une vague d'émotion m'envahit, de la joie je crois. Allez, faut avancer.

Avancer, en fait je n'ai eu que ce mot en tête toute la journée. Les conditions météo ont fait que j'ai pris peu le temps de m'arrêter ou de prendre des photos. Je ne me suis même pas assis depuis ce matin, ni enlevé mon sac. J'ai juste envie de marcher.

J'arrive au camp Fork. Un camp géant, qui ne me plaît pas. La vallée est déjà bien dans l'ombre, mais je continue vers le Point Campground, au bord du lac Kananaskis supérieur. Sur la carte, il y a bien un chemin qui y va de manière directe, mais impossible de trouver la jonction. Je me retrouve embarqué sur le chemin principal. Toutes les heures, depuis que j'ai quitté le col là-haut, je me dis que je me pose dans une heure...

La nuit est en train de tomber, le soleil est couché. Je ne peux de toute façon pas dormir là au milieu de nulle part. Alors je continue à avancer, grisé par la proximité de mon objectif final: le camp du Mont Sarrail. C'était initialement mon camp de demain soir, mais je suis bien parti pour l'atteindre ce soir.
Il fait maintenant nuit, je longe le lac Kananaskis supérieur sur une piste que j'ai rejointe depuis peu. Je ne prends plus de photo car il fait trop sombre. L'air est glacial mais le ciel dégagé, une petite brise souffle dans mon dos, le lac offre une vue magnifique.

Enfin j'arrive au camp du Mont Sarrail, vers 20h30. Ça y est je suis au bout. Dans un drôle d'état d'ailleurs: excité par la fin de cette aventure, alerte car seul au milieu de la nuit, stressé par le froid et drogué par la douleur de mes tendons qui se demandaient si j'allais m'arrêter. Ce camp est accessible en voiture et relativement bondé l'été, mais à cette saison il est fermé et je dors, comme toutes mes nuits depuis le début de ce trip, seul. Je monte l'abri en vitesse avec ma petite loupiote et m'enferme dans mon cocon de duvet.

Parcours : 42km, +1400m, -1700m


J17 - Mount Sarrail CG - Highway 40

Fin X Stop

Réveil un peu frais, même si le thermomètre n'indique que -2°C. Un vent glacial a soufflé toute la nuit, empêchant mes pieds de se réchauffer. J'ai mis mes pompes mouillées dans le duvet, mais elles n'ont pas beaucoup séché.

Mais c'est ma dernière journée, donc sans grande conséquence. Je rejoins la route d'accès à l'autoroute, où il y aura un peu plus de circulation qu'ici. Quelques 13km à enlever. Autour de Kananaskis Lake, le trafic durant la morte saison est faible et surtout local, pas intéressant pour moi qui souhaite rejoindre Banff, à une centaine de kilomètres d'ici. Et puis le temps est magnifique, même si c'est du goudron, les paysages sont d'autant plus appréciables à cette allure.

J'espère toujours voir un ours. Ça serait quand même dommage de revenir du pays des ours sans en avoir vu un. Mais n'ai droit "qu'à" un groupe de biches en lisière de forêt.

Petite pause au 3/4 du chemin, au Peter Lougheed Visitor Center, à 1h30 de marche du Mont Sarrail Campground. J'avais prévu à l'origine d'y faire parvenir un troisième ravitaillement, pour continuer plus au sud, mais j'ai appris peu de temps avant de partir qu'il fermait le 15 octobre. Je suis bientôt à l'autoroute donc je prends mon déjeuner au soleil et me fais tout beau pour lever le pouce. C'est là qu'un couple de mésengeais du Canada (ceux qui jouent de la flûte de pan le soir) vient me tenir compagnie. Ils viennent picorer mon savon! Mais le temps de sortir l'appareil photo, un pick-up arrive et les fait fuir. Un gardien du parc vient observer d'éventuelles traces d'ours, qui ont l'habitude de venir manger des racines dans une prairie derrière le centre des visiteurs du parc (chose que j'avais déjà lue par ailleurs). "No bear signs today" me dit-il, avant de me souhaiter un bon retour.

De retour sur la route, mes compagnons de table, les mésengeais, me rejoignent à nouveau. Ils me suivent, j'en profite pour enfin en rapporter un souvenir et mieux les identifier une fois rentré!

Le soleil est radieux et je commence à chauffer. Plus qu'une centaine de mètres avant de rallier la jonction avec la Highway 40, où un groupe de chèvres visiblement sauvages est affairé à nettoyer le sel sur la route.

J'y suis, je suis sorti des montagnes, et délecte ce petit moment de fierté. La fierté que l'on ressent quand on a atteint l'objectif qu'on s'était fixé. Quel qu'il soit, petit ou grand, chacun à son niveau, le plus important est qu'il soit un minimum ambitieux pour soi-même. C'est ce qui nous fait repousser nos limites et progresser. Ce qui nous fait accumuler de l'expérience, sans pour autant jamais étancher cette soif de vivre. Peut-être que là, tout de suite, maintenant, je me sens rassasié et me réjouis à l'idée de rentrer reposer mes pattes, mais je sais que d'ici deux semaines, je serai déjà en train de plancher sur ma prochaine destination :)

Parcours : 13km, +270m, -160m

"Then, when you return to civilization, you will have many happy memories, and the call of the wild will so enter your blood, that you will count the days till you can again be free among the everlasting hills". Mary Vaux.